Ce 20 octobre dernier, l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) a remis le régime juridique du télétravail en discussion avec les partenaires sociaux luxembourgeois habituels (OGBL/LCGB ). L’UEL était ici largement mandatée pour cela côté patronal : par le secteur bancaire (ABBL), les assureurs (ACA), les commerçants (CLC), les artisans (FDA), l’industrie (FEDIL) et le secteur Horesca.

En fait, cette négociation se basait toujours sur l’accord-cadre européen sur le télétravail du 16 juillet 2002 qui était à l’époque à adapter et donc interpréter dans chaque pays. Cet accord européen avait donc initié une première convention luxembourgeoise signée le 21 octobre 2006 qui mettait en œuvre ses principes. Cette convention fut d’ailleurs déclarée d’obligation générale par règlement grand-ducal.

La définition du télétravail

Le télétravail est une forme particulière de travail effectué en dehors des locaux de l’employeur et où le code du travail s’applique complètement, de même s’appliquent les conventions collectives et le règlement interne de l’entreprise. Les différents avantages liés au contrat de travail restent normalement maintenus. En tant que frontalier nous n’échappons pas à cette définition générale mais quelques différences peuvent être notées comme nous pourrons le voir ci-dessous.

Le télétravail est considéré comme occasionnel lorsque le télétravail est effectué pour faire face à des événements imprévus ou lorsque le télétravail représente moins de dix pour cent en moyenne du temps de travail normal annuel du télétravailleur.

Du point de vue frontalier : La notion télétravailleur frontalier n’existe pas vraiment mais nous pouvons nous rendre compte que c’est une situation de fait qui implique que la législation des deux pays concernés est à prendre en compte. La législation fiscale, sociale et aussi la responsabilité juridique des personnes au moment où elles sont actives en télétravail dans leur pays. Pour rappel le pays de résidence du frontalier n’accepte qu’un nombre limités de jours dans cette situation, mais l’urgence sanitaire a levé temporairement ces limites, cela a donc amené beaucoup de personne à l’expérimenter de manière massive.

A qui cela cela s’applique-t-il ?

En fait à tous les salariés liés par le Code du Travail mais il faut exclure quelques cas particuliers :
– les personnes détachées à l’étranger ;
– le secteur du transport au sens large (hors administration) ;
– les représentants de commerce ;
– les co-working spaces, qui sont comme des bureaux satellites de l’entreprise ;
– le smart-working ponctuel avec smartphone ou ordinateur portable hors du lieu de télétravail usuel ;
– toutes les prestations clientèle en extérieur.

Du point de vue frontalier : pas de différence particulière pour le frontalier si ce n’est le fait de télétravailler dans un co-working space dans son pays de résidence. En effet, si par exemple les frais d’accès au site étaient payés par l’entreprise il deviendrait alors un bureau satellite à l’étranger …

Le télétravail est normalement volontaire

C’est un choix des deux parties, il ne peut être imposé, mais il faut dire que cette situation de phase sanitaire critique peut engendrer une pression à l’acceptation du télétravail, tant de la part de l’employé que de l’employeur d’ailleurs.

Du point de vue frontalier : il faut noter qu’il pourrait toujours y avoir un conflit entre les exigences d’un employeur luxembourgeois et la législation du pays où il télétravaille, l’employé doit être vigilant …

Un régime spécifique au télétravail ?

En accord avec les délégations du personnel un régime spécifique peut être défini précisant les types de tâches possibles, les types de lieux, les règles en matière de sécurité, de protection des données, … cela peut d’ailleurs faire l’objet d’un accord de la convention collective si elle existe.

Du point de vue frontalier : des avantages collectifs utilisables au Luxembourg peuvent éventuellement poser problème, pensons par exemple aux chèques-repas qui ne seront pas utilisables dans le périmètre du lieu de télétravail. Un frontalier proche pourra peut-être néanmoins acheter de la nourriture à l’avance sur territoire luxembourgeois mais ce cas de figure n’est pas vraiment prévu par le législateur.

En termes de formalisation administrative

Pour du télétravail occasionnel une simple confirmation écrite suffit, lorsque le télétravail est régulier, quelques éléments doivent être définis par écrit :
– le lieu, heures, jours quand le télétravailleur doit être joignable ;
– compensation éventuelle en matière d’avantages en nature ;
– un forfait pour les coûts de connexion et de communication ;
– les modalités du retour vers la formule normale.

Du point de vue frontalier : il est à noter que l’absence d’un forfait pour les coûts de communication peut être un problème dans des zones frontalières bien moins déservies en télécom que le Luxembourg, le frontalier pourrait éprouver quelques difficultés de connexion avec une ligne basique frontalière. C’est particulièrement vrai au vu du prolongement de la situation sanitaire, beaucoup de télétravailleurs sont parfois sous un statut « occasionnel » qui se prolonge maintenant au delà du raisonnable.

Égalité de traitement

Il y a un principe d’égalité de traitement entre télétravailleurs et travailleurs classiques qui doit être respecté (conditions d’emploi, de temps de travail, de rémunération, d’accès à la promotion, formation, informations …)

Le télétravailleur n’a cependant pas droit à un dédommagement lorsque l’avantage en nature est intimement lié à sa présence dans l’entreprise (parking, cantine, salle de sport interne, … )

Du point de vue frontalier : en ce qui concerne la voiture de société luxembourgeoise mise à disposition du frontalier en télétravail, à priori la situation ne devrait pas changer et cela même si le véhicule est essentiellement utilisé pour des déplacements privés … situation à suivre néanmoins.

Protection des données  

L’employeur a l’obligation d’informer le télétravailleur en matière de protection des données et de le former dans la mesure du nécessaire. Cela concerne notamment toutes les législations et règles pertinentes de l’entreprise en matière de protection des données. Il doit informer le télétravailleur, en particulier de toute restriction à l’usage des équipements ou outils informatiques et des sanctions en cas de non-respect.

Du point de vue frontalier : ces notions de protections des données peuvent devenir délicates, en effet le télétravailleur peut être amené à consulter, imprimer, manipuler des données parfois sensibles à son propre domicile. Qu’en est-il s’il s’agit de données qui ne sont pas sensées sortir du territoire luxembourgeois ? Quelle est la responsabilité en cas de perte de documents, du manque de confidentialité au bureau de télétravail ? Le télétravailleur frontalier peut se sentir un peu seul face à des risques potentiels vis à vis des clients de son employeur par exemple.

Avec quel matériel ?

L’employeur fournit l’équipement de travail nécessaire au télétravail et prend en charge les coûts du télétravail (communications, …). En cas de besoin, le télétravailleur peut demander un service approprié d’appui technique. Le télétravailleur prend soin des équipements qui lui sont confiés mais l’employeur assume la responsabilité de la perte ou détérioration de ceux-ci et des données utilisés par le télétravailleur.

Du point de vue frontalier : il y a à noter que la perte de matériel/données involontaire du télétravailleur est de la responsabilité de l’entreprise. Mais on pense, par exemple, à un cambriolage au domicile du frontalier parfois dépourvu d’alarme et de mesures de sécurité professionnelles comme c’est la norme dans un bureau. En dehors de l’aspect de gestion des risques, ceci amènerait de nombreux problèmes au télétravailleur, obligerait celui-ci à faire appel aux autorités judiciaires du pays de résidence et sans doute aussi aux autorités judiciaires luxembourgeoises via son employeur, situation tout de suite plus complexe et pénible.

Santé et sécurité sur le lieu de télétravail ?  

Le télétravailleur applique correctement les politiques de sécurité et santé au travail, certes dans la mesure du possible dans le cadre d’un local privé. Mais bien que le télétravailleur est autorisé à demander une visite d’inspection à un délégué de son entreprise ou de l’inspection du travail et des mines, il n’est pratiquement pas possible d’assumer des missions de contrôle pour tout un chacun. 

Du point de vue frontalier : en cas de litige avec un employeur, quelle sera l’administration compétente pour juger d’un accident du travail au domicile ? Par exemple : une chute dans les locaux en heure de service, une électrocution lors de branchements de matériel par exemple. Si l’accident a eu lieu pendant les heures de travail et sur le lieu de travail, il est présumé être imputable à l’activité professionnelle assurée.
D’autre part, la couverture assurance habituelle du trajet dit « porte à porte », entre le domicile et jusqu’à l’immeuble abritant le lieu de travail devient inopérante car les deux se confondent. Il reste néanmoins à penser à prendre en compte d’autres trajets, le trajet vers une source d’alimentation pendant la pause, par exemple, comme si l’on était sur le lieu de travail luxembourgeois, ou le déplacement pour une visite physique externe côté luxembourgeois.
Il importe en tout cas de pouvoir prouver l’impérativité des trajets/missions et leur cohérence avec l’activité professionnelle en télétravail en cas d’accident.
Rappelons l’intérêt d’être considéré comme un accidenté du travail lors d’un incident, ne serait-ce que vis-à-vis de la prise en charge totale des frais médicaux et des indemnisations par l’Assurance Accident luxembourgeoise.

Organisation du travail  

L’organisation du télétravail est équivalent à celui en vigueur dans les locaux de l’employeur. Le caractère exceptionnel des heures supplémentaires doit aussi être strictement respecté pour les télétravailleurs, dont le droit à la déconnexion.  D’un autre côté l’employeur doit s’assurer de prévenir l’isolement du télétravailleur par rapport aux autres travailleurs de l’entreprise, en lui donnant la possibilité de rencontrer régulièrement ses collègues et d’avoir accès aux informations de l’entreprise.

Du point de vue frontalier : le point de l’isolement est à prendre en compte pour le frontalier, surtout si sa résidence est assez éloignée. En effet une réunion en présentiel peut parfois être déconseillée d’un point de vue sanitaire, mais peut devenir psychologiquement vraiment nécessaire. Or il faut bien se rendre à l’évidence, l’éloignement en km entraînera pour le groupe une tendance à l’évitement de trajets considérés alors comme non nécessaires, par exemple, pour une simple réunion interne. Mais, ne dit-on pas « loin des yeux loin du cœur », il faut prendre en compte que cela pourrait bien aussi être vrai professionnellement parlant.

Droits collectifs

Le télétravailleur a bien entendu des droits collectifs identiques : communiquer avec les représentants du personnel, être éligible aux élections des délégations du personnel et est inclus dans les calculs déterminant les seuils.

Du point de vue frontalier : le frontalier ayant déjà parfois tendance à s’auto-exclure des fonctions de représentativité sociale luxembourgeoise, il faut aussi veiller à ce que le télétravail ne soit pas un frein de plus à cela. Avec la crise sanitaire, l’impossibilité de communiquer avec certains employés sur site et qui donc ne sont pas liés avec les outils de télétravail, a appauvri l’échange social et professionnel. Il faut donc pouvoir avoir accès à du présentiel quand cela est nécessaire.

La formation

Le télétravailleur doit avoir le même accès à la formation et est soumis aux mêmes politiques d’évaluation. Il faut noter d’ailleurs qu’une partie des offres de formations se sont converties également au téléaccès.

Sur l’aspect technique de télétravail l’employeur doit former les employés et les managers sur les équipements techniques et sur la gestion de cette forme de travail.

Du point de vue frontalier : dans l’aspect formation le frontalier doit tenir compte de la qualité de l’échange en télétravail. En effet dans le cas d’une réunion hybride (présentiel et téléconférence) on observe un désavantage net de la (les) personne(s) en téléconnexion, surtout si la connexion audio (et vidéo si c’est le cas) n’est pas de bonne qualité. Il ne faut pas négliger la perte d’information due à une absence de signal ‘non verbal’ et à une audio de mauvaise qualité sans pouvoir bien apprécier le signal retour des autres personnes. Il est donc important en cas de télétravail fréquent et d’éloignement à bien maîtriser les techniques de l’audio-visuel, et d’être dans un endroit de télétravail particulièrement calme.

En conclusion

En conclusion, on peut dire que le télétravail à marche forcée que nous avons connu ces derniers temps et qui se prolonge, a mis en lumière qu’il n’y a pas que des avantages à la situation, surtout si le télétravail est quasi permanent comme c’est parfois le cas pour certains.

L’important étant de rechercher la richesse de l’échange quand il a lieu, et de se préparer à pouvoir quand même se rencontrer aussi physiquement après une bonne dose de télétravail.